L'Homme Fort
N
ous sommes au début de l'été.
Les oiseaux chantent, bientôt relayés par le coq ; il doit être quelque chose comme 5h du matin.
Je n'ai pas encore envie de me lever, je décide de me prélasser un peu…
Je me rendors. Je rêve…
Sans être spécialement là, j'assiste à une scène, au beau milieu de la ville.
C'est le matin, au rond-point, la circulation est énervée car une anicroche l'empêche d'aller embaucher en rond.
Il y a un énergumène qui gène les honnêtes gens, ceux qui veulent travailler en paix !
Il a planté sa toile de tente sur le trottoir, et son installation déborde sur la route, empêchant les voitures de circuler normalement.
Il est là, au milieu de tout le monde, comme un cheveux sur la soupe !
Au bout d'un moment, les conducteurs sortent de leur véhicule et s'approchent pour voir ce qui se passe.
Il y en a qui sont curieux, la plupart sont en colère parce qu'ils vont arriver en retard au travail.
- «
Mais qui c'est ce con qui bloque la circulation ! A quoi il joue ? »
En arrivant sur place, ils trouvent un homme imperturbable qui semble les attendre. Un jeune garçon est assis un peu en retrait sous la tente.
Au milieu du brouhaha général, l'homme se lève et prend la parole.
- «
Je suis ici parce que j'ai perdu mon travail et qu'après, j'ai perdu mon logement.
J'aurai pu aller dans un foyer pour nécessiteux avec mon fils mais voyez-vous, je ne veux pas être considéré comme un rebut de la société.
Toute ma vie, j'ai été un homme fort, et je le suis resté quand ma femme est morte l'été passé.
Je veux que mon fils aussi soit un homme fort malgré sa maladie et c'est pourquoi je dois rester.
Si je suis ici maintenant, c'est pour que vous sachiez que quelque chose ne va pas dans notre monde.
Oui, Messieurs, Dames, la réalité continue d'exister quand vous éteignez votre poste de télévision.
Dehors, je les ai vu, il y a vraiment des gens qui ont faim et froid et qui meurent de désespoir…
Ces gens ne disposent pas, comme vous, de bouton pour éteindre leur détresse…
Je suis un homme fort et je n'ai pas honte d'être là ; c'est pour ça que vous m'écoutez, parce que vous savez que ce que je dis est vrai.
Oui, quand vous éteignez votre poste de télévision, la réalité continue d'exister.
Notre monde ne va pas bien, il faut que chacun se réveille et cesse de faire semblant…
C'est tragique ce qui se passe pour certains, l'ignorer, c'est les tuer une deuxième fois…
La maladie ne concerne pas que quelques-uns d'entre nous, c'est toute notre société qui a un cancer terrible, des métastases qui partout se propagent…
et s'insinuent dans les moindres faiblesses…
Réveillez-vous, il faut réagir, on est tous contaminés… »
Dans mon rêve, tous écoutent l'homme fort.
Dans mon rêve, la police n'arrive pas et les énervés ne le bousculent pas pour lui faire dégager la chaussée.
Par contre, au loin, un homme un peu âgé, un barbu, lui fait signe d'approcher.
Tandis que l'homme fort s'approche du barbu, la foule se dissipe, les visages semblent différents, comme marqués par les paroles entendues.
Les voitures se remettent à rouler mais plus doucement, s'écartant comme avec délicatesse du campement…
Dans les bruits de circulation, on entend la voix du barbu, à la fois diffuse et claire :
- « Je m'appelle Bernard, je vis seul, mon épouse aussi est décédée l'été passé.
J'ai de la place et si vous voulez, je vous propose de venir vous installer chez moi, le temps que vous retrouviez une situation…
- Mais Monsieur, j'approche des 50 ans, dit l'homme fort, et je ne retrouverai peut-être jamais du travail…
Je ne veux pas vous mettre dans une situation embarrassante…
- J'entretiens seul mon domaine et j'ai bien besoin d'aide.
Vous êtes fort et votre fils a certainement besoin d'un grand-père…
Je veux dire qu'on pourrait bien s'entendre tous les trois ?
Ca vaudrait peut-être la peine d'essayer…, qu'en dites-vous ?"
Plus tard, le fils et le père se retrouvent en tête à tête.
Le garçon confie à son père son soulagement d'avoir croisé la route d'une personne si chaleureuse et bienveillante.
Il questionne son père sur son air maussade malgré la chance qui leurs a enfin sourit.
- « C'est que, vois-tu, je pense au cancer de la Terre.
Mon action a été tellement brève, ça n'a été qu'un coup d'épée dans l'eau.
- Mais papa, répond le garçon, ne crois-tu pas que c'est l'ambition qui t'aveugle.
Ce que tu as fait a été décisif ! N'est-ce pas que la guérison est intervenue dans notre vie… et dans celle de Bernard ?
Ton action désintéressée a guéri une part de la Terre, et chacun peut en faire autant, n'est-ce pas ?
- Oui, sans doute, ajoute l'homme fort, sans conviction, mais il faudrait leurs dire à tous, que c'est ainsi que ça marche et que tout le monde peut le faire !
- T'inquiète pas, papa, quelqu'un a rêvé en même temps que nous et s'est chargé de raconter notre histoire, à qui veut l'entendre… »
C'est à ce moment-là que le garçon me regarde dans les yeux et dit, à travers mon rêve :
- « ❤️ Rendez-vous à chacun, 💙 le matin, au milieu du rond-point (comprenez : "à la croisée des chemins"), 💜 pour que tous nous devenions
qui nous sommes, 💛 et que nous transformions le visage de l'humanité. 💚 💖 »
Je vous souhaite de vous réaliser,