D
ans les forêts naturelles (et non dans les forêts plantées), on peut observer une association des arbres par leur système racinaire,
nous apprend Peter Wohlleben, l'auteur de LA VIE SECRETE DES ARBRES.
La plupart des individus d'une même espèce et d'un même peuplement sont reliés entre eux par un véritable réseau.
L'échange de substances nutritives et l'intervention des arbres voisins en cas de besoin serait la norme.
Il apparaît ainsi que les forêts sont des super organismes, des organisations structurées comme le sont par exemple des fourmilières.
Que seuls les plus forts survivent n'irait-il pas dans le sens de l'évolution ?
Pourquoi les arbres auraient-ils un comportement social, pourquoi partageraient-ils leur nourriture et entretiendraient-ils ainsi leurs concurrents ?
Parce qu'ils savent que, à plusieurs, la vie est plus facile…
Un arbre n'est pas une forêt, il ne peut à lui seul créer des conditions climatiques équilibrées, il est livré sans défense aux vents et à la pluie.
A plusieurs, en revanche, les arbres forment un écosystème qui modère les températures extrêmes, froides ou chaudes,
emmagasine de grandes quantités d'eau et augmente l'humidité atmosphérique. Dans un tel environnement,
les arbres peuvent vivre en sécurité et connaître une grande longévité.
Pour maintenir cet idéal, la communauté doit à tout prix perdurer.
Ainsi certains arbres, dont les hêtres, sont de fervents défenseurs d'une justice distributive.
En fonction de la générosité du terrain, ces arbres compensent mutuellement leur faiblesse et leur force.
Qui est bien nanti donne généreusement et qui peine à se nourrir reçoit de quoi améliorer son ordinaire.
Si chaque individu ne s'occupait que de lui-même, nombre d'entre eux n'atteindraient jamais un grand âge.
Les morts successives provoqueraient de grandes trouées dans la canopée par lesquelles les tempêtes pourraient s'engouffrer et endommager la forêt.
La chaleur estivale parviendrait au sol et le dessécherait. Tous les individus en souffriraient.
La solidité maximale d'une chaîne est celle de son maillon le plus faible.
La condition d'un arbre ne pouvant être meilleur que celle de la forêt qui l'entoure, chaque arbre est utile et mérite d'être maintenu en vie aussi longtemps que possible.
C'est ainsi que même les individus malades sont soutenus jusqu'à ce qu'ils aillent mieux. Une prochaine fois, peut-être les rôles s'inverseront-ils
et ce sera l'arbre soutient qui à son tour aura besoin d'aide, à l'instar des éléphants qui défendent chacun des membres du groupe,
qui aident les malades et les moins vaillants à reprendre de la vigueur et ne laissent qu'à regret leurs morts derrière eux. (…)
Les arbres utilisent l'émission d'odeurs comme moyen de communication.
De même que nous possédons un langage olfactif secret, les arbres émettent des gaz ou substances qui informent leurs congénères de l'imminence d'un danger.
Aussitôt, les individus concernés réagissent en augmentant à leur tour la teneur en substances toxiques de leurs feuilles.
Ainsi quand une chenille plante ses mandibules dans une feuille, le tissu végétal se modifie aussitôt autour de la morsure.
Il envoie des signaux électriques, exactement comme cela se produit dans le corps humain en cas de blessure.
L'arbre fabrique sur mesure en fonction de l'objectif à atteindre car en effet, chaque espèce de parasites possède une salive spécifique
qui permet de l'identifier avec certitude. Le système fonctionne si bien que des substances attirantes peuvent être émises
pour ameuter des prédateurs spécialistes de l'espèce qui vont se faire une joie de prêter main forte aux arbres en dévorant les parasites.
Cependant, les arbres évitent de se reposer sur la seule voie des airs, ils préfèrent assurer leurs arrières en envoyant aussi leurs messages
aux racines qui relient tous les individus entre eux et travaillent avec la même efficacité qu'il pleuve ou qu'il vente.
Les informations sont transmises chimiquement mais aussi électriquement. Dès qu'ils ont connaissance de la nouvelle,
tous les arbres environnants mettent à leur tour de grandes quantités de tannin en circulation dans leurs vaisseaux.
Les racines d'un arbre s'étendent sur une surface qui dépasse de plus du double l'envergure de la couronne.
Il en résulte un entrelacement des ramifications souterraines qui crée autant de points de contact et d'échanges entre les arbres.
En outre, des champignons garantissent la continuité de la transmission.
Ils fonctionnent sur le même principe qu'internet par fibre optique. La densité du système de filaments qu'ils développent
est telle qu'une cuillerée à café de terre forestière contient plusieurs kilomètres de ces filaments appelés hyphes.
Au fil des siècles, un unique champignon peut ainsi s'étendre sur plusieurs kilomètres carrés et mettre en réseau des forêts entières.
En transmettant les signaux d'un arbre à un autre par ses ramifications, il concourt à l'échange d'information sur les insectes,
la sécheresse du sol ou tout autre danger et son immense réseau contribue à redistribuer l'eau et les substances nutritives.
Les champignons sont de curieux organismes. Ils échappent à notre division usuelle du monde vivant en règne animal, végétal et minéral.
🔆 Les végétaux, c'est une de leur caractéristique essentielle, produisent eux-même leur nourriture à partir de matière inanimée ;
ils sont donc totalement autonomes.
🔆 Les animaux, eux, sont contraints de se nourrir d'autres organismes vivants pour survivre. Des végétaux chlorophylliens doivent d'abord s'implanter
dans un sol nu et pauvre avant que des animaux puissent y prospérer.
🔆 Les champignons se situent quelque part entre les deux règnes. Leurs parois cellulaires sont constituées de chitine, une substance que l'on ne trouve jamais
chez les végétaux et qui les apparenterait plutôt aux insectes. En outre, ne réalisant pas la photosynthèse, ils sont, comme les animaux,
tributaires des composés organiques produits par les organismes vivants dont ils peuvent se nourrir.
Le réseau cotonneux de filaments souterrains qui constitue leur appareil végétatif, le mycélium, ne cesse de s'étendre au fil des années.
Les champignons sont ainsi les plus grands organisme vivant connu (en Suisse, une armillaire âgée d'environ 1000 ans a été découverte, son mycélium couvrait 50 hectares).
Ces géants peuvent être les ennemis des arbres mais intéressons-nous aux associations champignons-arbre pacifiques.
Avec le concours du mycélium d'une espèce qui lui est spécialement adaptée, un arbre peut démultiplier la surface utile de ses racines,
et donc pomper plus d'eau et de nutriments.
Pour former une association, il faut que l'arbre soit très ouvert, au sens propre comme au sens figuré, car les hyphes du mycélium se développent
à l'intérieur même des fines radicelles. A partir de là, les deux partenaires coopèrent.
Non seulement le champignon pénètre et enveloppe les racines, mais il développe aussi son réseau de filaments dans le sol alentour.
Il s'étend bien au-delà des racines de son hôte pour se mêler aux racines des autres arbres et il se connecte avec les champignons partenaires
et les racines de chaque nouvel arbre rencontré. Il en résulte un vaste réseau au sein duquel les échanges aussi bien de nutriments que d'informations,
par exemple sur l'imminence d'une attaque d'insectes, vont bon train. Les champignons sont en quelque sorte l'Internet de la forêt.
A cette prestation de base s'ajoute le filtrage gracieux des métaux lourds. Nocifs pour les racines, ils sont peu dommageables pour les champignons.
(Les polluants exsudés réapparaissent chaque automne dans de belles fructifications, parmi lesquelles les cèpes et les bolets que nous apprécions tant.)
L'offre globale comprend également une prestation prophylactique. Le mycélium repousse toutes les tentatives d'intrusion aussi bien de bactéries que de champignons parasites.
Tant que rien ne les perturbe, les champignons peuvent vivre plusieurs centaines d'années auprès de leur arbre.
En échange de leurs services, les arbres partenaires rétribuent les champignons sous forme de sucre et de glucide. Ils ont en effet besoin d'un tiers de la production.
Les arbres ne sont pas les seuls à communiquer ainsi entre eux ; les buissons, les graminées échangent aussi, et probablement toutes les espèces végétales
présentes dans la communauté forestière.
En revanche, dès que l'on pénètre dans une zone agricole, la végétation devient très silencieuse. La main de l'homme a fait perdre aux plantes cultivées
beaucoup de leur aptitude à communiquer par voie souterraine ou aérienne. Quasi muettes et sourdes, elles sont une proie facile pour les insectes.
L'utilisation massive de pesticide par l'agriculture moderne trouve là une de ses explications.
Les exploitants de terres agricoles gagneraient à s'inspirer du fonctionnement des forêts et à laisser un peu de naturel réinvestir les cultures de céréales
et autres pour qu'elles recouvrent la parole.
Extrait du livre LA VIE SECRETE DES ARBRES de Peter Wohlleben, recueilli et mis en forme par Saline.